Le long des gaths

Publié le par 2tortuesenvoyage

      Bienvenue a Benares, la cite des morts. Un reseau de ruelles etroites forme la vieille ville. On se perd aisement dans ce labyrinthe au pavement irregulier, aux maisons delabrees, infeste de rats, de singes et de vendeurs agacants. Mais au final, on debouche toujours sur les "gaths", larges escaliers descendant vers le fleuve sacre du Gange. Flaner sur ces quais a l'indienne ouvre un monde a part. Des images fortes marquent notre sensibilite. La promenande solicite l'esprit, bien plus que les jambes!


      D'abord le fleuve, calme et imposant. Des grandes barques chargees de monde glissent doucement a la surface, au rythme des coups de pagaie d'un jeune garcon. D'autres bateaux, enchevetrement colore, attendent patiemment leurs clients sur le bord. Puis il y a cette carcasse tiree de son element naturel. Comme une baleine echouee, sa coque repose sur un sol trop dur. Elle est en reparation.

 

153 : Braques sur le Gange, Varanasi

148 : Barques sur le Gange, Varanasi

      Des croyants se livrent a leurs ablutions matinales dans l'eau purificatrice du Gange pollue. Une simple piece de tissu dissimule mal leur sexe. Ils se savonnent, s'eclaboussent, s'ebrouent pendant que d'autres font la lessive.

 

150 : Lessive au bord du Gange, Varanasi

      Le fleuve, calme et imposant. Le ciel au-dessus, toujours un peu brumeux, est agite par le mouvement frenetique des cerfs-volants. Il y a une petite boutique qui en vend juste a cote de notre hotel. C'est une tradition ici, tout le monde se prete au jeu, depuis le toit des maisons ou sur les rives du Gange. Ces gros insectes papillonent dans les airs ou au ras du sol. On se prend les pieds dans les restes de fils abandonnes.

 

154 : Cerfs-volants, Varanasi

      Mis a part la penible insitance des rabatteurs et leurs questions recurrentes "You need a boat? Hashish?", l'endroit est paisble, propice a l'oisivete. C'est un lieu empreint de spiritualite comme en temoignent les nombreux temples hindous et jains qui jalonnent la promenade.


      Les vaches et les buffles errent, chasses d'un endroit a l'autre, criblant le ciment de bouses fraiches. Une vieille femme les ramasse a la main et les entasse dans un sac plastique. Elle les fera secher pour alimenter le feu necessaire a la vie du foyer.

 

152 : Buffles le long du Gange, Varanasi

      En etalant leurs marchandises par terre, les vendeurs a la sauvette parent le sol d'une vaste palette de couleurs : des bijoux, des peintures, des colliers de fleurs... Une chevre en chipe un pour en faire son dejeuner! Un enfant la poursuit en vain, les fleurs sont perdues : un manque a gagner pour le marchand.


      Les chiens de rue sont legion. Ils s'organisent en bandes, parfois rivales. Lorsque l'un aboie, les autres le supportent. Mais la plupart du temps, ils fouinent a droite a gauche a la recherche de quelque pitance, ou restent tout simplement allonges, blottis dans leur paresse. Un homme au crane rase, assis par terre, masse avec application l'un d'entre eux. Le vagabond canin, vulgaire sac-a-puces comme il y en a tant en Inde, plisse les yeux de plaisir et se laisse faire sans broncher. D'autres cleps attendent leur tour, couches autour du masseur.


      Cinq ou six Babas sont installes en cercle. Ils tapent sur des jumbees et chantent ce en quoi ils croient. Les Babas sont ces personnages hauts en couleur qui peuplent les ghats. Des "saints hommes". De vieux Hindous habilles de drapures oranges ou blanches, parfois moitie nus, la peau couverte de cendres. Chevelure et barbe arrangees en dreadlocks atteignent des longueurs record. Ces va-nus-pieds portent divers bijoux religieux et peignent leur front de symboles mystiques. Si ils atteignent l'elevation spirituelle, c'est a grand renfort de hashish. Bien sur, il y en a des faux, des contre-facons : nous sommes quand meme en Inde! Ceux-la, on les reconnait facilement car ils demandent a etre pris en photo et mandient sans scrupules. Les "Vrais" ne se soucient pas des touristes. Ils passent leurs journees entre priere et meditation, vivant de ce que les passants leurs offrent spontanement.


      Le voyage continue, errance sans fin, bouleversement. Ces ghats, c'est l'Inde. Trop de choses me depassent. Et ces monstres mendiants! Et ces hommes estropies ou malformes! Une blessure ouverte et purulente au pied, des lepreux aux membres ronges par la maladie, jusqu'a ce Baba dont la peau est si flasque que la moitie gauche de son visage pend jusqu'a son torse.  Et des enfants sales et debrailles, le regard dans le vague, ou fixe sur notre porte-monnaie.


      C'est l'Inde avec un parfum de mort. Benares, destination finale. Vingt quatre heures sur vingt quatre les cremations s'enchainent. La nuit, l'ambiance se fait oppressante. Les grands buchers embrasent le ciel. On distingue au milieu des flammes des formes humaines, un crane, une jambe carbonisee... Personne ne rit, mais personne ne pleure non plus. Le spectacle macabre me fascine, je ne peux detourner mon regard. Juste derriere se trouve l'hopital lugubre ou les malades attendent leur tour. Les trous noirs beants des fenetres me font peur. J'ai l'impression qu'ils vont m'avaler. Deux cents morts par jour, dit-on. Et la ou il y a des cadavres, il y a des vautours. Ceux d'ici s'en prennent aux touristes en tentant de leur soutirer une soit-disant donnation pour la ceremonie. Je parie ma prochaine reincarnation que l'argent va plutot dans leur poche.


      Quoiqu'il en soit, l'atomsphere chaude et pesante me happe tout entier. Benares laisse une marque indelebile. On y decouvre l'un des nombreux visages de l'Inde, entre grimace douloureuse et rire joyeux.


      Les familles, seulement les hommes, font leur deuil en regardant le corps du defunt s'envoler en fumee, se dissoudre en cendres. Le Gange emportera tout.

Publié dans Inde

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M
<br /> L'article est si précis que nous avons l'impression d'être encore avec vous... saisissant!<br /> <br /> <br /> Nous terminons la lecture des livres de Vikram Seth qui prolonge nos impressions et ressentis sur l'Inde, très intéressant à lire au retour.<br /> <br /> <br /> Nous vous envoyons plein de bisous.<br />
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Y
<br /> <br /> Merci beaucoup pour ce compliment. A vrai dire, j'y ai passe beaucoup de temps, et chaque nouvelle promenade "le long des gaths" etait a la fois source d'inspiration tant l'univers est riche, et<br /> source de frustration tant il est impossible de tout exprimer.<br /> <br /> <br /> Gardez nous bien les livres au chaud : on aura soif de lecture en rentrant!<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />